Mais tout autre est l’itinéraire du Cercle que nous connaissons encore aujourd’hui, héritier de l’initiative de ces milieux d’affaire qui en transformèrent l’esprit premier dans les années mille huit cent quatre vingt. Si son origine est imprécise, nous en connaissons toutefois  l’année de la création, qui semble être, selon les investigations entreprises au siècle passé, 1726, soit au tout début du règne de Louis XV, ce qui d’emblée lui confère dans la hiérarchie des Cercles français des lettres de noblesse incontestables… même si les paroles que tint en 1818, l’un des présidents de l’époque, monsieur Danse, à l’occasion du jubilé d’or de l’appartenance au Cercle de monsieur Delahaye, relèvent davantage de la mythologie que de la réalité « Ses fondations remontent si loin que les pères de nos pères en ignoraient la date de création, mais son ancienneté est fort grande et ses vertus et traditions ont tant de noblesse qu’il est impossible de la laisser mourir », elles ne laissent guère planer de doute sur son prestige et son rôle social.

En fait, celui qui, en référence au modèle anglais, devait s’octroyer le vocable de LLOYD en raison du nouveau rôle économique qu’il avait l’intention de jouer, s’était appelé à l’origine CHAMBRE SAINT-GEORGES. Fallait-il y voir une allusion, déjà toute britannique, à l’infortuné Jacques François STUART dit le chevalier  Saint-Georges, fils de Jacques II, roi d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande, héritier sans trône, voué à l’errance et à la conquête d’une gouvernance perdue ou encore à ce saint du quatrième siècle dont Jacques de Voragine dans la «  Légende Dorée » rapporte qu’il terrassa le dragon ? Nul ne le sait et rien ne permet d’en affirmer l’origine.

L’esprit et les objectifs de la Chambre étaient alors très différents de ce qu’ils devinrent par la suite et de ce qu’ils sont encore aujourd’hui. C’était d’abord un lieu de convivialité et de courtoisie où l’on se retrouvait pour le plaisir d’être ensemble, de bavarder et de partager des loisirs en commun. On aimait aussi à y dîner ou tout simplement à se délecter de ces nouvelles boissons importées des comptoirs coloniaux, d’Afrique, d’Inde ou des Amériques : thé, café, chocolat… Le jeu y avait aussi une grande importance. Elément de la vie sociale, il était un facteur de lien entre les membres de la Chambre pour lesquels le trictrac, les échecs et les parties de cartes constituaient des moments de délassement appréciable. Les premiers journaux commençaient à circuler, à vrais dire souvent de simples feuilles imprimées recto-verso que l’on appelait « gazette », et faisaient la joie de ceux qui venaient les lire en toute quiétude dans les salons du Cercle où ils étaient mis à leur disposition. Comme bon nombre d’institutions rouennaises, la Chambre Saint-Georges connut, suivant les heurs et les malheurs des temps, bon nombre d’aléas. Ils évoluaient en fonction de ses moyens et du nombre de ses membres. Aussi son siège social n’était jamais définitif et si les lieux changeaient, ils n’étaient non plus jamais très éloignés d’un quartier, qui pour des raisons évidentes, avait sa prédilection, s’agissant du secteur des quais et de la Bourse. Une règle cependant prévalait au sein de la Chambre. Il était interdit d’y parler religion et politique.

C’est sans doute ce qui dut valoir à la Chambre une tranquillité absolue lors des évènements révolutionnaires que ses membres traversèrent sans encombre, mis à part quelques concessions faites au nouveau langage, comme l’usage  du terme « citoyen » appliqué à tout individu quelque fut sa fonction. Ainsi vit-on fleurir au bas des procès verbaux la signature du « Citoyen Président »  ou encore celle du « Citoyen Concierge ». De même comme le voulait la loi, on eût recours à la nouvelle terminologie selon laquelle se déclinait le calendrier révolutionnaire. La Chambre vivait donc dans son temps et avec son temps, s’inscrivant dans la légalité des pouvoirs en place. Cependant,  avec la Révolution, une nouvelle étape de l’histoire du cercle s’amorçait. L’histoire était en marche et ses membres allaient peu à peu montrer que leurs aspirations étaient différentes, qu’ils souhaitaient un renouveau de l’esprit qui les avait animés jusque là, c'est-à-dire celui de la convivialité et du jeu. Les transformations industrielles et économiques étaient à l’œuvre. Ils souhaitaient que le Cercle s’adapte à cette nouvelle étape de l’Histoire et en épouse les contours. Le temps était venu d’en faire l’instrument d’une dynamique économique et financière. Ils allaient s’en donner les moyens. 

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